La collection Lise B, conception de Fabrice Dugied

Photo©Anne Nordmann

Photo©Anne Nordmann

La collection Lise B, Regards sur la danse contemporaine. Une installation performative des archives de la journaliste de danse, Lise Brunel.

 Quand Lise Brunel disparaît, en 2011, Fabrice Dugied son fils, chorégraphe, se retrouve héritier d’une vie de danse et d’une quantité extraordinaire de documents ayant appartenu à sa mère : articles, photographies, enregistrements, entretiens, carnets de notes etc. Avec deux chercheuses, Claude Sorin et Ninon Steinhausser, il se jette à corps perdu dans le tri et l’élaboration d’un concept d’exposition, faisant parler les archives. La forme finale devient une sorte de partition pour corps et archives qui témoigne de la singularité du regard de cette passionnée de danse et de l’effervescence de cet art au cours des années 1956 à 2000.

La première partie de cette Collection Lise B se déroule dans le hall de la Briqueterie où photos, articles, audios et vidéos permettent une première approche. On entend Lise de sa voix particulière de petite fille, interroger de grands chorégraphes dont Merce Cunningham, Alwin Nikolais, Marta Graham ou Karine Waehner. On suit ses déclarations telles des manifestes sur le statut du danseur et la complexité de la carrière. Elle donne son point de vue et émet des propositions pour le développement de la danse. Quelques danseurs traversent le hall, s’échauffent, discrètement, puis l’investissent avec les petits mots de Lise écrits sur des panneaux qui signe son engagement en danse : « La danse est toujours réduite en haut lieu à une part si petite de budget… »

La suite se passe sur le plateau où deux tables se font face, côté cour et côté jardin, point de rencontre des danseurs. Fabrice Dugied accueille le public et l’invite à « un voyage sur le monde, sur le temps, sur l’espoir. » Un dispositif, sorte de carrousel constitué de chaînes portant des séries de photos en noir et blanc, tombe des cintres. Un vocal très élaboré et des bribes d’enregistrements nous environnent, des séquences se succèdent : ronde de danseurs, signe de légèreté et de partage ; pantomime réalisée avec des affiches, petits clins d’oeil à la mémoire. Les noms des chorégraphes de renom s’égrènent : Pina Bausch, Rudolph Noureev, Trisha Brown, Susan Buirge ; les lieux de la danse et des festivals, s’affichent à travers un bouquet de tee-shirts : Arles l’été de la danse, Hivernales, Montpellier Danse, Festival de Prague, en Italie, au Canada.

Au-delà des images d’archives sur écran, d’autres images captées par une caméra, sur scène, portent à la connaissance des spectateurs la richesse de documents posés au sol. « La danse est un ensemble de l’individuel, chaque danseur est un individu » dit Lise Brunel. Des séries de mots s’affichent : « mot à… en forme de… » comme éphémère, plaisir, performance, espace. Entre jeu de l’absurde et travestissement, le défilé des accessoires avec changements à vue de costumes inventifs apporte sa note loufoque et d’accumulation d’objets. La réflexion de la journaliste sur la critique en danse prolonge aussi le débat et invite au respect : « Il faudrait réinventer la critique ; comment raconter le geste sans enfermer le lecteur dans sa propre vision ? »

« Danser avec esprit, bouger l’espace, dire le silence, dire l’action, bouger l’espace…» On l’entend dictant à distance un article sur Trisha Brown à sa secrétaire, qui sur le plateau, le tape sur une vieille Remington. On entend les aspects techniques de sa critique : « Tête, genou, hanche. La tête soudain se jette de côté, le buste se plie en avant, avec vigueur… » La danse comme processus, la passionne : travail sur les courbes, cercle de derviches, mouvements délicats qui construisent la spirale, jeux de dés repris à la caméra, énumération des partitions. Moment de tendresse quand Patrice Dugied installe la danseuse aux cheveux gris sur une chaise, et qu’il tient le rôle du fils, lui, plein d’attention, elle, nageant dans l’océan. Images de rue, mémoires de bal, partout l’énergie et une force de vie.

La maison aux photos, ce dispositif qui monte et qui descend au centre du plateau, sorte de répertoire des danseurs et chorégraphes qu’elle a côtoyés, devient à la fin la maison des danseurs où se rejouent des rondes enfantines. Au final, les spectateurs sont invités à poursuivre le voyage, sur le plateau, à travers ces images. Et sur écran, signé Bob Wilson : «  Le ralentissement du temps abaisse la fréquence du cerveau et permet de trouver le temps de penser. »

Journaliste d’exception dans le monde de la danse, Lise Brunel fut une grande dame, modeste et écoutée. Elle défendait les jeunes chorégraphes. Le milieu de la danse a fait corps en répondant présent à l’invitation de son fils, Fabrice Dugied, chorégraphe qui a construit en son hommage ce parcours de corps, de voix et de sens, pour mémoire.

 brigitte rémer

Conception, direction et chorégraphie : Fabrice Dugied/ Compagnie les Zonards célestes – Recherche et commissariat d’exposition : Claude Sorin et Ninon Steunhausser – Musiques originales : Meredith Monk – Chorégraphie en complicité avec les danseurs : Brigitte Asselineau, Ashley Chen, Mié Coquempot, Camille Ollagnier, Edwige Wood.

Spectacle programmé lors de la 18ème édition de la Biennale de danse du Val-de-Marne dirigée par Daniel Favier. Programmation du 5 mars au 3 avril dans 25 lieux du Département – (cf. programme complet : www.alabriqueterie.com et tél. : 01 48 58 24 29)